Quand les barrières sautent ...

Publié le 14 juillet 2024 à 18:14

Service d’Hospitalisation à Domicile, 1er jour de stage, 1ère visite à domicile.

 

Avec Géraldine, l’infirmière qui m’accueille ce jour-là, nous nous rendons chez un couple, dont l’homme est touché par une maladie neurodégénérative à un stade déjà avancé. Petit à petit, la maladie a gagné du terrain jusqu’à le rendre tétraplégique et le priver de sa capacité à parler, tout en épargnant ses facultés cognitives : M. B est donc parfaitement conscient. Emprisonné dans son corps qui ne répond plus.

Ce qui l’attend ? La paralysie devrait bientôt atteindre ses muscles respiratoires, et le priver d’autonomie sur ce plan également.

Sa femme, extrêmement investie, a tout mis de côté pour s’occuper de lui. Mue par l’amour pour son époux, elle se dévoue corps et âme, sans répit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Quand il pouvait encore s’exprimer, Monsieur a été très clair : pas de trachéotomie ni d’assistance respiratoire, pas d’acharnement thérapeutique. Depuis, sa femme essaie de le convaincre du contraire, tant le perdre lui est impossible à envisager. Elle lui en parle quotidiennement, espérant qu’il ait changé d’avis et accepte enfin ce qui pourrait le maintenir en vie encore bien longtemps.

Voilà donc ce que je connais de la situation de ce patient que je ne vais pas tarder à découvrir.

 

Nous entrons dans l’appartement, Madame est prise d’une diarrhée verbale en voyant Géraldine, faisant peu de cas de ma présence et ne lui laissant pas le temps de me présenter. La porte de la chambre est ouverte, d’un bref coup d’œil ma future consœur me fait signe de me rendre au chevet du patient.

  Bonjour M.B, je suis Anne-Sophie, je suis en dernière année d’études d’infirmière, si vous le voulez bien je vais m’occuper de vous avec les infirmières du service pendant un mois.

Monsieur fond en larmes. C’est assez malaisant à vrai dire. J’essaie de rester douce et souriante :

  Géraldine arrive tout de suite, elle discute avec votre femme. Je peux faire quelque chose pour vous en attendant ?

Ses yeux me répondent par la négative. Il continue de pleurer, me dévisage puis me fuit du regard en tournant la tête, plusieurs fois.

Son épouse entre dans la chambre, suivie de l’infirmière, qui s’exclame :

 Bah alors, M.B, qu’est-ce qui vous met dans un état pareil, c’est quand même pas ma petite stagiaire ?

Mme B, sans me gratifier d’un regard, annonce froidement :

  Au premier coup d’œil, j’ai su que ça allait le bousculer. Votre stagiaire est le portrait craché de sa fille, qui ne nous parle plus depuis trois ans.

Silence pesant, insoutenable. Trouver une solution, vite.

Je peux peut-être retourner dans la voiture et attendre là-bas. Ma présence ne doit pas réveiller des blessures du passé.

Les trois adultes se regardent ; je me sens comme une enfant qui aurait fait une bêtise et qu’on aurait pris la main dans le sac.

Madame répond :

Non, non, restez. Au contraire, je crois que cela lui ferait du bien.

Et Monsieur d’acquiescer du regard, si parlant. Ses yeux transpirent la reconnaissance envers sa femme et portent une tendresse à mon égard qui me touche en plein cœur.

Attention au transfert, qu’ils nous disaient sur les bancs de l’école ! Gardez une distance relationnelle avec les patients !

Et bim, voilà qu’en moins d’une dizaine de minutes, les barrières ont littéralement explosé.

Ça commence bien !   

Mettre de la distance, qu'ils disaient !

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